Pavane – Keith Roberts

[rating=5]

Pavane

Auteur : Keith Roberts
Editeur : terre de Brume
Traduction : Franz Straschnitz et Dominique Defert
Format : 14 x 24 cm
Prix : 18 €
ISBN : 2-84362-312-X

Une île déserte pleine de livres.

Adieu la France, BHL et le CAC 40 ! Appuyé au bastingage du vieux cargo qui m’emmène vers les îles Kerguelen et ses pingouins, je pense à tous ces livres que j’abandonne entre des mains impies et qui, tôt ou tard, finiront par me manquer. Heureusement, mes malles sont pleines d’œuvres incontournables, emportées de préférence à la panoplie du parfait petit Robinson. La côte s’éloigne et je rejoins ma cabine. J’ouvre ma vieille cantine pour prendre en main un de ces tickets qui donnent droit à quelques heures de bonheur. Celui-ci par exemple : Pavane.

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5 . Pavane de Keith ROBERTS

Nous sommes au 20ème siècle dans un moyen âge qui se prolonge. Tout a divergé en 1588 quand un fanatique papiste finit par avoir la peau de la reine Elisabeth, plongeant l’Angleterre dans la guerre civile. Opportuniste, Philippe II d’Espagne saisit alors sa chance et lance l’Invincible Armada à la conquête de l’Europe du nord qui tombe ainsi sous la férule de l’Eglise catholique. Nous avons donc affaire à une histoire qui relèverait de nos jours de l’uchronie, mais que, dans notre bon vieux temps, nous classions dans la catégorie des univers parallèles. L’Eglise étend ainsi son emprise sur le monde occidental et sur les colonies d’Amérique, imposant une loi contraignante dont l’un des principaux effets est la stagnation ou la très lente évolution du progrès technique.

En bon élève de l’école britannique, Keith Roberts situe son action en Angleterre, comme si les évènements qui s’y déroulaient primaient sur le reste de la planète et ne pouvaient avoir ensuite que des répercutions universelles. C’est assez typique de cette lignée d’écrivains qui, de John Wyndham à J G Ballard en passant même par Vargo Statten font de Londres ou du Royaume-Uni le centre du monde. Ce positionnement donne une saveur toute particulière aux œuvres concernées. Ici, Keith Roberts dépeint son univers à travers six tableaux qui évoquent avec force un monde étrange, dont les réalisations techniques sont sévèrement contrôlées et à peine tolérées dans d’étroites limites par l’Eglise, qui ne lâche du lest qu’avec parcimonie. L’auteur suit la tradition de la SF du pays de sa Gracieuse Majesté et prend un soin tout particulier à la description détaillée des situations, au déroulement lent et mesuré des intrigues, le tout conférant cohérence et crédibilité à une œuvre que nous qualifierons de magistrale.

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Dans ce monde où domine l’obscurantisme agissent des forces contraires. Le mysticisme religieux favorise l’apparition de la magie, des elfes, du peuple des forêts dans le plus pur respect des lois de la thermodynamique qui veulent que toute action appelle une réaction. Et c’est bien le sens de cet ouvrage que de décrire ces oppositions dont le point d’équilibre conditionne le futur et donc le bonheur de l’homme. Car c’est de cela dont il s’agit, et la démonstration de Keith Roberts est éblouissante. Sa démarche d’abord : l’évocation de cet univers par tableaux successifs restitue avec une grande vraisemblance ce monde imaginaire. On partage la dureté des conditions de vie du mécanicien de la Lady Margaret, son comportement taciturne, sa méfiance et ses rêves… Le signaleur est une autre figure, presque monastique, à la grandeur et au destin tragiques. On embrasse les doutes et la révolte intérieure de frère Jean, sorte de Fra Angelico chargé d’immortaliser sous son pinceau les scènes terribles auxquelles il assiste lorsque la Sainte Inquisition s’adonne à la Question.

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Oui dans ce livre, l’Eglise opprime, torture, retient l’humanité dans un carcan rétrograde. Elle freine le développement de la technique (voir la bulle papale « petroleum veto »). Mais ce faisant, elle ne fait que retarder une évolution qui finit par s’accomplir, et cette politique représente à terme un cadeau inestimable pour l’humanité. En effet grâce aux quelques siècles de répit procurés avant l’inévitable effondrement de l’institution, l’homme recueille les fruits du progrès fort d’une sagesse qu’ici il ne possède pas. Keith Roberts l’explique avec émotion à la fin de son ouvrage. Grâce à l’action de l’Eglise, le monde qu’il imagine ne connaîtra jamais Auschwitz.
Le lecteur aura compris que nous avons affaire à un livre incontournable, un des meilleurs de la SF d’outre Manche et de la SF tout court. Keith Roberts n’est pas un auteur prolifique et c’est bien dommage, mais si la qualité est à ce prix, alors ma foi, tant pis.
Les Furies dont j’ai déjà parlé par ailleurs est une excellente variation des fins du monde à la sauce britannique, et Survol est aussi un texte tout à fait remarquable. Mais Pavane représente vraiment un sommet dans son œuvre. Régulièrement réédité, il se doit de figurer en bonne  place dans nos bibliothèques.

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