La cité et les astres – Arthur C. Clarke

[rating=5]

La cité et les astres

Arthur C. Clarke
Editeur : Gallimard
Collection Folio SF
347 pages
Prix : 7,10 euros
ISBN: 978-2-07042-409-2

 

 

 

Une île déserte pleine de livres…

Ah les îles Kerguelen, ses pingouins, son petit bol d’air frais… Comment trouver un meilleur endroit pour oublier notre belle civilisation, son e-business et autres e-billets, Liliane Bettencourt et la réforme des retraites ? Mais avant de partir, je dois garnir ma valise avec les quelques livres indispensables qui me permettront de ne pas céder au désarroi qu’un tel déracinement pourrait provoquer. Troisième ouvrage donc à emporter : La cité et les astres d’Arthur C Clarke.

3. La cité et les astres  d’Arthur C Clarke

J’ai ressenti la découverte de ce livre, à un âge tendre, comme un véritable choc, une révélation ! Je me souviens d’avoir eu l’impression d’être attrapé et projeté dans un monde extraordinaire, oubliant durant quelques heures la réalité quotidienne. Au delà de son thème très ambitieux et traité avec une maîtrise singulière, ce texte est véritablement inspiré, abordant avec une rare élégance des sujets aussi galvaudés – et si souvent malmenés – que l’avenir de l’humanité, le sens de la religion, les ressorts de l’accomplissement intime. La grande force de La cité et les astres tient dans l’évocation d’un avenir lointain que l’auteur décrit à merveille et dans l’élévation de pensée qui imprègne ses pages. L’histoire en elle-même est assez simple: dans un milliard d’années, sur Terre, ne subsistent plus que deux modèles d’humanité ayant emprunté des voies évolutives différentes en apparence, basés sur deux modes d’existence aussi opposés que possible. Ainsi d’un côté, l’apothéose de la technologie contraste fortement avec l’harmonie d’une société pastorale renforcée par les liens télépathiques qui unissent ses membres. Les habitants de Diaspar eux, vivent cloîtrés dans une cité fabuleuse, aboutissement d’une science supérieure dont les réalisations, et c’est un des exploits de Clarke, n’ont pas pris une ride aujourd’hui ! Les inventions sont toujours crédibles et époustouflantes. Diaspar – voir l’acronyme avec paradis – offre des richesses inépuisables, qu’une vie entière ne suffit pas à découvrir. D’ailleurs, la population, délivrée de la recherche de son pain quotidien – mi frivole, mi esthète – s’adonne à des occupations destinées à perfectionner ses talents et ne ressent aucun ennui.

Diaspar et Lys s’ignorent. L’une a perdu le souvenir de l’autre qui accueille, au fil des âges, les esprits les plus curieux qui s’échappent de la cité éternelle. Car Diaspar est comme une arche de Noé. Elle protège entre ses murs ses enfants des atteintes du temps, par le biais de mécanismes compliqués – circuits d’éternité préservant la matière – et « recyclage » de sa population qui, après une existence d’un millier d’années, rejoint les banques à mémoire pour être rappelée à nouveau des centaines de siècles plus tard. Le nombre d’habitants de Diaspar est donc à jamais fixé, mais leur séquence d’apparition fait que la combinaison en est toujours différente. La reproduction biologique a été abandonnée à l’aube de l’humanité, mais la sexualité s’exerce toujours entre hommes et femmes. La mort n’existe plus, quand elle régule au contraire l’équilibre démographique de Lys qui a maintenu le modèle antique des naissances biologiques et de la vieillesse. Un traumatisme ancien concourt à confiner les habitants de Diaspar dans leur cité, et l’évocation du monde extérieur, de la splendeur qui s’attache au souvenir du vieil empire galactique les remplit de terreur. Néanmoins, pour ne pas succomber  à la décadence, érosion qui frappe les sociétés même les plus abouties,  les concepteurs de la ville ont imaginé des solutions sophistiquées, sous forme de facteurs correctifs à court terme – des bouffons qui introduisent des doses calculées de désordre – et à long terme – le héros de l’histoire, un dénommé Alvin (tiens ?) qui, unique, c’est-à-dire n’ayant jamais eu d’existence antérieure, est destiné à apporter des bouleversements plus profonds dans cette société figée. Pour ses compatriotes Alvin est un monstre, attiré par tout ce qui leur fait horreur, et en particulier bien sûr par le monde extérieur. Sa soif de découverte le mènera d’abord en Lys où sa capacité à mettre sens dessus dessous ce qui l’entoure s’y exercera pour la plus grande consternation de ses hôtes. Car Lys aussi, sous des couleurs plus vivantes, plus libérales, souffre de maux similaires à ceux de Diaspar. Néanmoins c’est en Lys qu’Alvin découvre le serviteur du Maître, dernier messie de l’espèce humaine, héritier ultime d’une longue lignée de prophètes. L’introduction du spirituel dans une intrigue jusqu’alors bâtie sur l’opposition de deux cultures va complètement transcender le récit et le propulser vers les sommets. Alvin entreprendra une quête sur la route suivie jadis par les humains. Ce qu’il trouvera dans l’espace l’éclairera à la fois sur le passé et l’avenir, dans une grandiose perspective.

Ce beau livre, dont Alain Dorémieux – toujours lui – disait qu’à l’instar d’un grand cru de Bordeaux, il se bonifiait avec le temps, a connu de multiples rééditions depuis son apparition au Rayon Fantastique. C’est l’œuvre majeure de Clarke, bien supérieure à ses autres titres, dont 2001 Odyssée de l’espace. Évocation vertigineuse et démesurée d’un futur fabuleux, original, riche d’enseignements et de considérations sur le sens de notre existence, cet ouvrage reste dans la plus pure acceptation du terme un superbe space-opéra, indémodable et jamais dépassé à ma connaissance.

 

 

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