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Cristal qui songe
Auteur : Theodore Sturgeon
Traduction : Alain Glatigny
Editeur : J’ai Lu
Format : 11 cm x 18 cm
ISBN : 2290340871
247 pages
Prix : 4,80 €
Une île déserte pleine de livres…
Ça y est, je viens de passer le canal de Suez accoudé au bastingage de ce vieux minéralier qui fait route vers les îles Kerguelen. Bientôt nous rentrerons dans la zone de tous les dangers où opèrent nos amis pirates. En fait de turbulences pour l’heure, c’est le Proche Orient qui en connaît quelques-unes. Elles ont d’ailleurs toutes la même origine : l’injustice. Voilà pourquoi ces évènements me poussent naturellement à feuilleter un des plus beaux livres qui traite de ce thème sous couvert de SF: Cristal qui songe, de Théodore Sturgeon.
6 – Cristal qui songe de Théodore Sturgeon.
Cette histoire poignante met en scène des personnages tourmentés, déchirés, et reste sans doute l’ouvrage le plus émouvant de Théodore Sturgeon. On sait que cet auteur, à la vie chaotique tant privée que professionnelle, fut renommé pour sa capacité à donner à ses créatures la dimension morale et l’humanité si souvent absentes chez celles imaginées par ses confrères. Là réside l’art de Sturgeon dont le sujet, au travers de cette fable, est essentiellement l’homme et l’espoir qui l’anime, ses hésitations, ses échecs et ses joies. À la différence d’un Simak dont les émotions sont celles d’un naturaliste, Sturgeon met en scène des êtres déséquilibrés, parfois malheureux, et souvent naufragés du cœur.
La puissance, écrit-il, n’est en fin de compte que la capacité d’infliger de la souffrance à autrui. Ce constat est un peu le leitmotiv de cet ouvrage où l’on suit les aventures d’un garçon de neuf ans, orphelin, brutalisé par sa famille adoptive. La description de son enfer quotidien est un morceau de bravoure car, en quelques lignes tout est dit : le souci d’honorabilité de son père adoptif cache la cruelle noirceur d’âme d’un médiocre, une méchanceté intrinsèque, apanage d’un grand nombre d’êtres dits humains. Amateur de fourmis – brunes de préférence – Horty est surpris en plein festin à l’école et renvoyé. Il s’ensuit une explication de gravure un peu brutale avec sa famille d’adoption à l’issue de laquelle le gamin s’enfuit avec son jouet préféré et en laissant trois doigts dans la porte du placard où il avait été jeté. Quoique blessé, il va rencontrer les membres d’un cirque sur lequel règne le Cannibale, un des êtres les plus fameux imaginé par Sturgeon. Il faut lire la façon dont l’auteur donne vie à ce personnage, brillant et asocial, haut en couleur. Son cheminement mental est si bien décrit que son comportement – malgré sa monstruosité – paraît naturel, ses déductions évidentes. Or c’est le produit de ses vicissitudes qui lui confère la clairvoyance grâce à laquelle il va découvrir les cristaux qui songent.
Animé par une haine tenace de l’humanité, le cannibale pense détenir à travers ces cristaux – dont on ignore à peu près tout et que l’on trouve en terre pour peu qu’un œil averti sache déceler leur présence par les indices appropriés – le moyen de déchaîner des calamités sur ses semblables. En effet, soumis à une certaine forme de torture psychique, les cristaux se plient à sa volonté et donnent chair à des monstres qui opèrent dans son cirque. Mais le Cannibale cherche surtout celui ou celle qui sera le catalyseur entre lui et les cristaux pour lui donner l’effet de levier qui lui manque et passer, en quelque sorte, de l’expérimentation à la vraie production. Horty sera-t-il cet esclave ? Celui-ci, pris en charge par une naine, Zena, s’intègre finalement à la troupe. Son mentor s’ingéniera à le protéger de toute curiosité malsaine du Cannibale – car ses doigts se régénèrent – jusqu’au jour où…
Sturgeon parle de haine mais surtout d’amour, de consolation, d’espérance. Au milieu de la boue la plus infâme il sait que les fleurs finiront par pousser. Il va plus loin, dans une approche assez rédemptrice, jusqu’à nous laisser penser que le bien triomphe du mal. À la lecture de ce livre, je le crois.