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Galaxies Nouvelle Série n°11/53
Période : hiver 2011
ISSN : 1270-2382
Format : 13,5 x 21
Pages : 192
Prix : 11€
La nouvelle SF russe est à l’honneur dans ce onzième numéro de Galaxies. Le dossier, réalisé par Patrice et Viktoriya Lajoye, comprend un article sur l’état des lieux de cette SF, deux interviews, trois nouvelles, un scénario et une bibliographie. On peut également lire des nouvelles de Will McIntosh, Alain le Bussy, Timothée Rey, Jyrki Vainonen et Patrice Lussian. Les autres articles concernent William Gibson, la SF cubaine, Rosny l’Ainé et Murakami Haruki.
Lunes de gel de Will McIntosh
80 ans se sont écoulés depuis la mort de Mira dans un accident de voiture, et voici qu’un jour elle est réveillée dans un centre cryogénique. En effet de vieux nantis, qui n’ont pas le temps de trouver une compagne (trop superficielle à leurs yeux) à leur époque, viennent choisir leur future épouse parmi de ravissantes jeunes femmes mortes des décennies auparavant. Pour Mira le choix est difficile, retourner au néant ou épouser un vieil inconnu. Pas facile, surtout lorsqu’on est lesbienne.
Cette nouvelle, prix Hugo 2010, part d’une idée intéressante (le système des agences matrimoniales du futur) et se lit assez vite, mais elle ne m’a pas paru explorer ni développer cette idée avec suffisamment de tranchant ; car, au final, le côté « fleur bleue » prend trop le dessus par rapport à la critique sociétale.
E.E.G. d’Alain le Bussy
Une nouvelle épistolaire qui met en scène le « choc des cultures ». En effet, une famille d’accueil raconte leurs mésaventures après avoir hébergé durant une année scolaire une extraterrestre. Le ton est ironique, parfois cocasse et l’ensemble assez plaisant à lire.
Mille soleils, une pluie de Timothée Rey est présentée comme une « nouvelle de science-fiction aztèque ». Afin de rallumer le septième soleil, le grand prêtre Azcatl multiplie les sacrifices (ici des machines) au dieu Huitzilopochtli. En parallèle les Chasseurs mènent la guerre contre les Machines. Or, Grelot, un Chasseur « malingre, bossu, tout juste toléré », lors d’une mission va faire une étonnante découverte.
L’ensemble, par moments un peu confus, met en scène l’affrontement contre les machines, la rencontre avec l’autre que l’on hait pour des raisons ataviques. Mais tout ceci n’est peut-être qu’un malheureux quiproquo et gare aux conséquences !
L’explorateur de Jyrki Vainonen
Une nouvelle plutôt originale. Cela démarre comme une sorte d’enquête policière. En effet, un météorologue, Klaus Nagel, disparaît mystérieusement. Il a laissé un mot tout aussi sibyllin à son épouse : « Chère Marianne, j’ai disparu de ta vie pour y entrer. Klaus. »
Puis, une fois le mystère résolu pour le lecteur, on se trouve embarqué dans un « voyage » des plus étranges. Je ne vais pas dévoiler où se trouve le héros, mais c’est vraiment délirant. Hélas ! le reste de la nouvelle n’est pas tout à fait à la hauteur de l’idée initiale et la chute m’a laissé une impression d’inachevée, d’avoir été un peu bâclée. Dommage, c’était un texte prometteur !
Le septième jour de Patrice Lussian
Une nouvelle, assez troublante, qui démarre sur un ton réaliste et relate l’histoire d’un veuf qui s’occupe de ses enfants un dimanche matin avant de les emmener à la messe. Et, sans crier gare, on bascule dans l’horreur fanatique.
J’ai plutôt apprécié ce texte pour son message et son final dérangeant.
Le maître du monde de Bourkine est une métaphore sur la solitude, sur le solipsisme aussi, ou encore sur l’incommensurabilité entre le vivant et le technologique. Ou, quand le voile de Maya est déchiré, comment supporter la vérité ? Nietzsche avait écrit qu’on « a inventé l’art pour ne pas mourir de la vérité »… Le maître du monde reprend ce thème en le déclinant sur le mode du pouvoir.
Nevermore est une sorte de long poème en prose macabre, hommage au Corbeau d’Edgar Allan Poe. Le style est beau et sombre.
3D. Gastarbeiters virtuels de Vladimir Pokrovski est un conte ironique sur les méfaits de la 3D, la duplication et l’excès d’amour-propre ! Bien que court et se lisant vite, ce texte donne à réfléchir tout en faisant rire.
Sorcière d’Arkadi et Boris Strougatski est l’excellente surprise de ce numéro de Galaxies. Ce scénario écrit en 1981, resté inédit et retrouvé au 2008 dans les archives d’Arkadi, est la version primitive du film d’Andrei Tarkovski : le sacrifice. Certes, on peut lire ce scénario, grâce à sa grande qualité littéraire, comme une nouvelle et sans connaître le film de Tarkovski. Mais il est intéressant pour ceux qui l’ont vu de faire des comparaisons.
Le philosophe Maxime Akromis va mourir, son médecin vient de lui diagnostiquer un cancer, le foie et les poumons sont atteints. Or, par l’entremise d’un mauvais bougre, il va rencontrer une guérisseuse, Martha. Ce texte, plus qu’une leçon de vie est une leçon d’amour et de rédemption. Si le film de Tarkovski portait sur la notion de sacrifice, de don de soi pour sauver le monde, Sorcière est plus intimiste, plus en rapport avec une quête personnelle et la découverte de l’autre.
Enfin, pour un novice comme moi en matière de SF russe, j’ai bien apprécié le dossier, avec les articles et les interviews. C’est là le point fort de ce numéro 11 de Galaxies, avec aussi les fictions russes. Voici encore un numéro que je conseille. Merci à Pierre Gévart et son équipe d’offrir ainsi tous les trimestres une revue de cette qualité.
Cyril Carau