Les profondeurs de la Terre
Auteur : Robert Silverberg
Éditeur : Le livre de poche
Collection : Science-fiction
Traducteur : Jacques Guiod
Prix : 6,50 €
284 pages
Date de parution : 28.10.1987
ISBN : 9782253025771
Une île déserte pleine de livres…
Le panorama de l’océan sans fin est propice à toutes les réflexions métaphysiques dont on repousse l’approche sous peine de se poser des questions sans réponses. Par exemple : notre vie a-t-elle un sens, une utilité ? A contrario, ne sert-elle qu’à rallier les rivages de la naissance à ceux de la mort en s’aventurant tant bien que mal à travers la mer du temps ? Je ne sais pas, je ne sais plus. Mon exil est au bout de l’horizon et ces îles Kerguelen, battues par les vents, seront-elles les témoins de ma déchéance ou de ma renaissance ? Serais-je comme Edmund Gundersen, le héros de « Les Profondeurs de la Terre » de Robert Silverberg, délivré de mes péchés et promis à une existence nouvelle ?
9 – Les Profondeurs de la Terre – Robert Silverberg
De tous les auteurs de science-fiction, Bob Silverberg est probablement le plus enclin au mysticisme. On relève cette tendance lourde dans « Le Fils de l’Homme », « Le livre des crânes », « L’oreille interne » ou « La Tour de verre » dans laquelle se conjuguent deux quêtes opposées : celles du pouvoir temporel et du salut de l’âme.
Cette dimension spirituelle prend tout son sens dans « Les Profondeurs de la Terre ». Dans un futur lointain, notre planète a renoué avec ses vieux démons en faisant d’autres mondes ses colonies. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, le résultat prend la forme d’une exploitation à peine déguisée sous les couleurs d’un protectorat. Enfin, l’Histoire se répétant, une phase de décolonisation finit par s’enclencher et c’est à cette période que se situe l’action. Celle-ci a pour cadre la Terre de Holman, rebaptisée Belzagor par ses natifs. Le personnage central du livre, Edmund Gundersen, a travaillé jadis sur ce monde, sous les couleurs d’une compagnie dont l’objet consistait à recueillir le venin de serpents locaux aux propriétés régénératrices. La Terre de Holman abrite deux populations indigènes intelligentes – les Nildorors proches des éléphants – et les Sulidorors, sortes de grands gorilles. Or Gundersen revient sur le sol qu’il a quitté dix ans plus tôt, possédé par une obsession nourrie par la nostalgie du passé et l’aspiration informulée à un repentir. Il a jadis commis quelques menues fautes sur Belzagor – qui exposées semblent anodines au regard des horreurs sur lesquelles débouchèrent les excès de la colonisation, mais qui, transposées dans le contexte très particulier de ce monde, prennent une tournure conséquente. Il revient donc sur le théâtre de sa jeunesse au milieu d’un groupe de touristes et retrouve une planète indépendante, aux installations à la dérive, où seule une poignée de terriens sans attaches sont demeurés. Gundersen s’apercevra vite qu’il n’a pas été oublié, ni par ses congénères, ni par les indigènes. Il va peu à peu s’engager sur la voie de la rédemption, s’éloignant de l’état d’esprit des touristes à l’égard des Nildorors, qu’il partagea jadis en ne voyant en eux que des animaux à peine évolués. Silverberg braque un puissant projecteur sur les profondeurs de l’âme humaine, ses démons et ses peurs. Il met en lumière notre solitude, notre égocentrisme. Un esprit étranger ne peut-il être reconnu par l’homme que s’il s’engage sur une voie comparable à la sienne, comme celle de la technologie ?
Or, sur Belzagor, l’évolution a emprunté une autre direction, qui échappe complètement aux terriens. Ceux-ci se croient supérieurs alors qu’ils ne suscitent que pitié et compassion de la part des Nildorors et des Sulidorors. Confronté à son passé, tenaillé par un remord qui prendra le pas sur sa fierté et son arrogance, Gundersen suivra le chemin de la Renaissance, acte dans lequel s’accomplissent les habitants de la Terre de Holman et quelquefois des hommes. Il y trouvera sa Vérité, car, à l’instar de son ancien complice Kurtz, selon qu’il se sera ou non purifié au cours de son pèlerinage, il deviendra un être nouveau, ange ou démon.
Messianisme, révélation quasi biblique: le sentiment religieux imprègne ces pages fortes qui transportent le lecteur vers des hauteurs rarement atteintes dans le cadre difficile du thème de la rédemption.
En vérité je vous le dis : « Les Profondeurs de la Terre » est un livre majeur.