Croisière au long du Fleuve, 7e escale : Pierre Barbet

Pierre Barbet, de son vrai nom Claude Avice, docteur en pharmacie, fit ses débuts au Rayon Fantastique sous la houlette de Stephen Spriel avec deux romans remarqués : Babel 3805 et Vers un avenir perdu parus en 1961.

http://outremonde.fr/public/img/babel3885.jpgBabel 3805 raconte comment les radiations issues des explosions de novas provoquent sur la Terre et ses colonies l’apparition de mutants qui suscitent la haine des hommes. La guerre qui en dĂ©coule prĂ©lude Ă  un drame encore plus terrible avec l’apparition des cristallins, des ĂŞtres « abhumains », vĂ©ritables responsables des novas en sĂ©rie. Le rĂ´le des mutants sera la clef de la rĂ©solution de ce conflit.
Vers un avenir perdu son second essai au RF, met en scène un personnage qui, lui, se projette à la fin des temps pour savoir si l’univers finira par exploser et qui reçoit une révélation cosmologique.
Ces deux livres, soigneusement écrits, introduisaient d’emblée un auteur fortement inspiré par le space-opéra, tel que l’on pouvait le déguster dans les années 50 en France sous la plume d’un Jack Williamson ou d’un Edmond Hamilton. Mais on relevait aussi une dimension mystique assez originale et qui, faisant bon ménage avec la science, soulignait la personnalité atypique de l’auteur. Enfin, le goût de l’action, de l’épopée démesurée imprégnaient ces ouvrages. Cette inclinaison le conduira à écrire ensuite des fresques bruissantes d’astronefs et de batailles (L’agonie de la Voie Lactée, les conquistadors d’Andromède) qui ne seront publiées qu’une dizaine d’années plus tard.

http://outremonde.fr/public/img/barbet_avenir.jpg Pierre Barbet faisait d’ailleurs un peu figure d’exception au Fleuve. Alors que pour la plupart de ses collègues, y écrire relevait du gagne pain, pour lui, il s’agissait d’abord de donner libre cours à sa passion. Son métier d’origine – la pharmacie – et l’officine qu’il possédait lui assuraient en effet une certaine sécurité. Et pourtant, alors que l’on aurait pu s’attendre, dans ces conditions, à une œuvre lentement ciselée dans une tradition artisanale, Pierre Barbet, à partir de l’instant où il intégra l’écurie du Fleuve, fit preuve d’une belle productivité et y enchaîna roman sur roman.

http://outremonde.fr/public/img/baphomet.jpg Toutefois, en Ă©criture, quantitĂ© et qualitĂ© vont rarement de concert, et Pierre Barbet ne commit pas que des textes sans reproches. NĂ©anmoins, la grande majoritĂ© de ses livres restent d’un niveau tout Ă  fait honorable, et certains titres s’élèvent bien au-dessus du standard de production courant au Fleuve. Il faut souligner que malgrĂ© certaines naĂŻvetĂ©s dans le comportement des personnages ou de facilitĂ©s d’intrigues, l’écriture reste soignĂ©e, les histoires solidement charpentĂ©es. Et c’est, sans conteste, L’Empire du Baphomet qui reprĂ©sente le sommet de son Ĺ“uvre très Ă©clectique. Première incursion dans l’uchronie – mais Ă  l’époque on appelait cela plutĂ´t « univers parallèles », le livre relate avec force termes de vieux françois l’histoire d’une poignĂ©e de Templiers, d’Hospitaliers et de chevaliers Francs qui livre un combat dĂ©sespĂ©rĂ© Ă  la fin du Royaume de JĂ©rusalem… Appelant l’idole peut-ĂŞtre vĂ©nĂ©rĂ©e par les Templiers – de forme très diverses selon les tĂ©moignages recueillis durant les procès – mĂŞme les membres haut placĂ©s de l’Ordre du Temple, tels que Hugues de Pairaud, furent incapables de  la dĂ©crire, donc grâce Ă  ce mystĂ©rieux Baphomet, le Grand MaĂ®tre des Templiers Guillaume de Beaujeu va disposer d’une arme terrifiante. Ainsi, il contre-attaque et dĂ©fait les Sarrazins devant Jaffa. MaĂ®tre des Lieux Saints, il envahit alors les Sultanats Mongols d’Asie afin de propager la Vraie Foi. De victoire en victoire, sa croisade le mènera jusqu’Ă  la lointaine Cambaluc, oĂą son ost vaincra QoubilaĂŻ Khan ! HĂ©las, le Baphomet a des vues diffĂ©rentes sur la Terre…
Le souci de recherche historique et linguistique est manifeste, l’action est comme emportée par une tempête, tout sonne vrai dans ce véritable tour de force, cet ouvrage marquant qui eut les honneurs d’une traduction outre atlantique. Pierre Barbet possédait une autre originalité : il conjuguait non sans bonheur space opéra et préoccupations d’actualité, comme le prouve un texte comme Oasis de l’espace où l’on peut certes sourire des situations qui y sont décrites, mais où l’arrière fond du décor met en lumière les difficultés que l’homme se crée tout seul dans sa volonté de domination égoïste. À cet égard il est assez proche d’un Ben Bova ou tradition et modernité font bon ménage.

http://outremonde.fr/public/img/oasis.jpg Derrière l’écrivain de romans de gare se cachait en réalité un homme préoccupé par les problèmes de son temps – n’oublions pas que les années 70 étaient des années de rupture, de retournement, de doute et de prise de conscience environnementales – et Pierre Barbet en fut l’un des porte paroles au Fleuve. Sans doute, cette appartenance lui colla-t-elle à la peau comme un péché non rémissible auprès de la communauté hautaine qui présidait à l’époque aux destinées de la SF en France. Il n’empêche, le message est là, il a été livré et lu par des milliers de fans, et il demeure toujours d’actualité. Quelques livres ambitieux, reflétant cette inquiétude, furent publiés sous le pseudonyme d’Olivier Sprigel au Masque SF, tel Lendemains incertains, qui tranche avec la production – nous allons dire courante – ordinairement livrée au Fleuve. Là encore, renouant avec ses débuts, c’est le devenir de l’humanité qui est mis en question et cette incertitude, entretenue jusqu’à la fin, nous renvoie l’état d’esprit d’un homme sans assurance quant au futur, mais partagé entre optimisme et résignation. Car il y a une dimension qui transparaît aussi entre les lignes de ses romans, et qui éclaire l’homme : la bonté.
Pour ma part, je conserve le souvenir d’un être d’une grande gentillesse, et dont la présence était la promesse de discussions constructives. Quelles qu’aient été les opinions des lecteurs sur son œuvre, on ne pouvait qu’apprécier la courtoisie, l’érudition et le caractère sympathique du personnage, une des grandes figures de la SF française en vérité. Il courait les conventions, y compris aux USA, et sa modestie renversait tous les a priori qui pesaient à l’époque sur les auteurs du Fleuve.

Scientifique de formation, il savait que le progrès technique n’est ni blanc ni noir, qu’il est le reflet de l’homme, à la fois terrible et merveilleux. Il s’est efforcé au long de ses livres de le dire. Visionnaire, il avait très tôt identifié tout le potentiel de l’union entre la biologie et la physique, ce qu’il appelait « la bionique », aujourd’hui la biotechnologie.
De fait c’était un optimiste, il croyait passionnément en l’homme et en sa capacité d’accéder au bonheur. J’espère qu’il avait raison.

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