RĂ©gis Messac

Portrait dessiné par Guillaume Desgranges.

Il existe des écrivains dont les textes restent immuablement d’actualité, s’affranchissant des modes ou des préoccupations d’un instant. Régis Messac est de ceux-là, et la qualité de ses écrits, malheureusement, ne les protège pas de l’oubli. C’est donc un peu contre cette longue érosion de la mémoire que s’inscrit cet article, les œuvres que je passe en revue ici n’ayant pas été rééditées depuis plus de trente ans.

Régis Messac est né en Charente Maritime (inférieure à l’époque) en 1893. Ses parents étaient instituteurs. Mobilisé en 1914, blessé au crâne et trépané, il passa sa licence de lettres durant sa convalescence, fréquenta les tommies auprès desquels il apprit l’anglais et refusa de rentrer à l’Ecole Normale malgré l’insistance de son père. Il fut reçu à l’agrégation de grammaire, enseigna à Auch avant de séjourner à Glasgow puis à Montréal où il prépara son doctorat de lettres. Il revint en France et soutint sa thèse avec succès : Le Détective Novel et l’influence de la pensée scientifique. Il devint donc le premier spécialiste français de littérature policière. En butte aux tracasseries de l’administration, il ne parvint pas à intégrer l’enseignement supérieur et la seconde guerre mondiale le surprit à Coutances. Pacifiste, il refusa de se soumettre et entra dans la résistance pour organiser la fuite et le ravitaillement des STO. Arrêté en 1943, déporté, on perdit sa trace en mars 1945, peu avant la libération des camps. Messac fut un des rares amateurs de SF américaine d’avant guerre, rejoignant en cela la poignée de connaisseurs qui eurent pour noms Jacques Bergier, George H Gallet ou Michel Pilotin.

http://www.lekti-ecriture.com/librairie/files/imagecache/Medium/files/couvertures/messac_quinzinzinzili.jpgLa ligne directrice qui unit la vie de RĂ©gis Messac Ă  son Ĺ“uvre est celle de la mise au pilori de la bĂŞtise humaine. Messac ne prend mĂŞme pas la peine de la dĂ©noncer : il la met en scène, en lumière, et son ironie mordante se charge de l’exĂ©cution. Il a souffert sa vie durant et on peut mĂŞme dire qu’il en est mort, de la bĂŞtise poussĂ©e dans ses retranchements les plus extrĂŞmes et les plus tragiques. Il savait vraiment de quoi il parlait. Il est intĂ©ressant de dĂ©couvrir la mĂ©thode de Messac pour tourner en dĂ©rision les travers, non seulement de ses contemporains, mais de l’espèce humaine en gĂ©nĂ©ral. Sa plume est d’abord dĂ©sabusĂ©e (Le monde peut crever, je m’en fous…Quinzinzinzili -) avant d’être fĂ©roce. On sent une vraie dĂ©sespĂ©rance que seul un humour grinçant sauve du pessimisme le plus noir. Il existe une foule d’auteurs qui travaillent (ou ont travaillĂ©)  avec plus ou moins de convictions sur la veine des lendemains qui dĂ©chantent. Rien de pareil chez Messac, et pourtant le futur qu’il promet n’est pas riant. Si l’on considère Quinzinzinzili, Ă©crit au milieu des annĂ©es 1930, on est en face d’un roman de fin du monde comme il s’en est Ă©crit des milliers. Mais, lĂ  oĂą la plupart de ses contemporains amĂ©ricains – et aussi plus rĂ©cents –  placent après le cataclysme une renaissance, oĂą l’on voit l’Homme devenir subitement responsable et se diriger droit vers le bonheur, Messac, lui, explique comment les survivants rĂ©inventent la guerre et la religion et jettent les fondements d’un futur aussi bĂŞte que le passĂ©. MĂŞme un Barjavel, avec Ravages, croit Ă  la rĂ©demption sous la forme d’une sociĂ©tĂ© pastorale. Pour Messac, il n’y a pas de salut. Jacques Guiod et Alain Lacombe, dans un article ancien, soulignaient l’approche pamphlĂ©taire de l’œuvre de Messac, qui n’était pas sans rappeler celle de Swift.http://www.noosfere.org/images/couv/l/lattes-sf04-1972.jpg A cet Ă©gard, le roman la CitĂ© des AsphyxiĂ©s est un modèle du genre. Je dirai mĂŞme que dans ce temps de crise que nous vivons, il prend une allure tout Ă  fait actuelle puisque, dans ce futur lointain, l’équivalent Ă©conomique de l’énergie, c’est l’air. Et mĂŞme si le monde dĂ©crit est capable d’en fabriquer Ă  satiĂ©tĂ©, celui-ci reste contingentĂ©, vendu bouffĂ©e par bouffĂ©e en Ă©change du travail d’un prolĂ©tariat maintenu en servitude par une classe dirigeante qui se goberge et respire des airs « parfumĂ©s ». L’ironie s’habille dans un humour qui flirte avec la dĂ©rision, perçant de ses traits acĂ©rĂ©s quelques institutions contre lesquelles Messac avait une dent. (L’Education Nationale en particulier, avec le succulent Ă©pisode du ramollissement du cerveau…) On s’en doute, on est loin des fusĂ©es chromĂ©es, des extraterrestres aux tentacules gluants et autres hĂ©ros Ă©tincelants aux regards bleus de cette pĂ©riode dite de « l’âge d’or ». Au-delĂ  des messages politiques et des rancoeurs qui s’expriment Ă  travers les livres de Messac, il faut bien souligner une approche poĂ©tique et un talent affirmĂ© de la description. Les univers suscitĂ©s sous sa plume sont consistants et tout Ă  fait originaux, leur peinture n’est pas archaĂŻque. Il y a lĂ  un mariage entre la raison et  l’esthĂ©tisme, et cela confère Ă  ces Ĺ“uvres une qualitĂ© qui rĂ©siste Ă  l’assaut du temps. Il s’est trouvĂ© jadis un Ă©diteur courageux (JC Lattès) pour exhumer ces textes. Depuis, un long silence radio s’est installĂ©, et seuls des sites de vente en ligne (price minister, ebay) peuvent encore permettre aux amateurs d’aujourd’hui de se procurer ces titres et de dĂ©couvrir ainsi un Ă©crivain de science fiction de premier plan. Je me fais donc un devoir, Ă  travers ces quelques lignes, de tenter de promouvoir cette Ĺ“uvre et d’en espĂ©rer une future rĂ©Ă©dition avec, pourquoi pas, un inĂ©dit ? Car, tout comme fut exhumĂ© ValcrĂ©tin (tout un programme), il existe un roman publiĂ© Ă  compte d’auteur, Les voyages de NĂ©ania, une curiositĂ© sans doute introuvable – Smith Commindouin – envoyĂ© au pilon par les Allemands, L’Homme AssiĂ©gĂ© et L’Homme EnragĂ© ainsi qu’un texte inachevĂ©, Le Geleur de RĂŞve. On peut rĂŞver non ?

http://www.yozone.fr/IMG/jpg/valcretin200.jpg
Valcrétin justement, venons-y. C’est la narration de la découverte par une expédition d’une île où vit une communauté d’individus qui ont sombré dans la crétinerie. Et au contact de cette société pour le moins originale, les fiers découvreurs finissent par succomber à – si je puis dire – cet état d’esprit, démontrant ainsi au lecteur que la connerie est contagieuse. C’est de tous les romans publiés et accessibles de Messac le plus profond, celui qui ouvre les perspectives les plus élargies sur l’âme humaine et ses perversions. Un texte inoubliable. Dans tous ces livres, la science-fiction ou l’anticipation, n’est qu’un prétexte, un vecteur qui facilite la transmission des messages que Régis Messac jugeait importants de délivrer : stupidité foncière de l’Homme, soif insatiable de pouvoir, bestialité à fleur de peau, intolérance chronique… Pour nous, soixante dix ans après leur rédaction, nous ne pouvons que savourer ces romans à la fois pertinents et percutants.

Je recommande bien sûr à ceux qui le peuvent, de se procurer l’article de Jacques Guiod et d’Alain Lacombe dans lequel j’ai abondamment puisé, et paru jadis dans Axolotl n°1. Heureuse coïncidence, Charles Moreau m’apprend que : « Le livre de Messac sur le polar va ressortir révisé par Jean-luc BUARD dans quelques mois. ». Ne le manquez pas !

 

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