Le Moine – Matthew Gregory Lewis

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Le Moine

Matthew Gregory Lewis

Traduction de Léon de Wally: 10€50 chez babel

Traduction d’Antonin Artaud: 7€70 chez Folio

Ecrit en 1796, par un auteur de 19 ans, The Monk est un grand classique de ce qu’il est convenu d’appeler le roman gothique anglais, précurseur du roman noir et du genre fantastique (Qui apparaît vers les années 1830 en Europe) . Comme un autre grand classique que l’on peut rattacher au genre gothique ou noir, le Manuscrit trouvé à Saragosse de Jean Potocki, la construction en est gigogne : dans le même roman divers personnage racontent leurs propres histoires, créant ainsi des histoires dans l’histoire, peut être sous l’influence des Mille et Une Nuits, traduit au XVIIIème siècle et bâtis pareillement

Le personnage central, qui donne son nom au roman, est le moine Ambrosio, prieur des Capucins de Madrid, dont les prêches attirent les foules. Cet homme est considéré comme un saint vivant. Ayant toujours vécu au monastère, protégé du monde, il est orgueilleux et sévère contre les pécheurs. Mais dés que la tentation apparaît dans sa vie sous la forme du novice Rosario qui se révèle être une femme amoureuse de lui, le voila irrémé« diable »ment entraîné dans une spirale qui le conduira de la luxure à la magie noire, au meurtre, au pacte démoniaque et à la damnation. Très habilement se nouent autour les autres intrigues : le jeune noble Lorenzo rencontre dans l’église des Capucins la belle Antonia dont il tombe amoureux, et surprend dans la même église un échange de lettre entre sa sœur Agnès, religieuse clarisse, et un inconnu qui se révèle être son ami Raymond…Je n’entrerai pas dans les détails pour ne rien dévoiler des péripéties et aventures diverses qui s’articulent, où l’on croise le terrifiant spectre de la nonne sanglante, le juif errant, une nécropole souterraine qui est loin d’être calme, fuites et poursuites, drogues et poisons, fantômes et bien sûr le diable qui est derrière tout ça. L’aventure et l’horreur sont au rendez-vous mais l’humour y est aussi présent, à travers des femmes vieillissantes comme Leonella toujours prête à être courtisée par des jeunes hommes, ou superstitieuse comme Jacinthe qui raconte à sa manière les événements .

Le fantastique n’est pas continu d’ailleurs : la première centaine de pages ressort beaucoup plus de l’aventure et pourrait être signée d’Alexandre Dumas. Par la suite on se trouve dans des ambiances macabres à la Poe (Mais ni Dumas ni Poe n’étaient nés quand Lewis écrivit Le Moine)

Précurseur du romantisme et du fantastique, The Monk n’en  est pas moins héritier des écrits des lumières : l’anticléricalisme y est souvent présent : certains religieux (Par exemple la supérieure des Clarisses) y sont présentés comme cruels, inflexibles et plus préoccupés, derrière une apparence dévote, de la réputation de leur maison que de la moindre humanité. On y trouve en plusieurs occasions la condamnation de la vie monastique considérée comme contre-nature ou en tout cas de l’enfermement au couvent de jeunes gens qui ne l’on pas choisi, sur la volonté de leurs parents (En ça on pense à La Religieuse de Diderot). Quoi que les héros soient de jeunes nobles, l’aristocratie n’y est pas non plus à son avantage : elle est montrée hypocrite et superstitieuse. Les masses elles-mêmes ne sont pas flattées, on le voit avec la foule, qui, apprenant la cruauté de la supérieure, se met à saccager le couvent et massacrer sans distinction toute religieuse qui lui tombe sous la main.

Gothique, noir, fantastique, Le Moine ne manque pas non plus de finesse psychologique : Ambrosio est un être complexe,  ni franchement bon ni franchement mauvais. Il est plein d’hésitations, il se laisse emporter en condamnant cruellement Agnès, la nonne fautive, puis pris de pitié il voudrait l’aider mais se rend finalement à la raison de celles qui lui disent de n’en rien faire (La prieure, puis Mathilde). Il cède à la passion, cherche à se convaincre du peu de gravité de son péché. Finalement il prend à chaque fois les mauvaises décisions qui l’entrainent de plus en plus loin dans le crime, jusqu’à la fin où il se laisse aller au désespoir dans le sens chrétien : persuadé que ses péchés sont trop graves pour être pardonné, et après avoir  une ultime fois hésité, il se donne au diable. Le diable, qui lui était apparu comme le très beau Lucifer se révèle alors l’affreux Satan, et les révélations qu’il fait montrent à quel point il avait comploté dés le début la perdition du prieur.

Admiré par Sade (qui le dit« supérieur sous tous les rapports, aux bizarres élans de la brillante imagination d’Ann Radcliffe » ), et André Breton, qui salue « le souffle de merveilleux [qui] anime tout entier [Le Moine] » ce roman qui fit scandale à son époque (Lewis dut même en écrire une version édulcorée) existe dans la première  traduction, celle de Léon de Wailly (1840) et dans une traduction/adaptation d’Antonin Artaud.
« Le Moine fait du surnaturel une réalité comme les autres » Artaud

Un livre ancien mais d’une grande modernitĂ©, qu’on ne peut lâcher une fois commencĂ©…

Publié dans Romans | Permalien |

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