Croisière au long du Fleuve, 17e escale : Alphonse Brutsche

Avec La guerre des Gruulls un nouvel auteur rejoignait en 1971 les rangs d’Anticipation au Fleuve Noir, dans la foulée de recrues comme Georges Murcie ou Robert Clauzel et de transfuges d’Angoisse comme André Caroff ou G-J Arnaud. Le Fleuve a eu quelquefois des sursauts de vitalité avec la survenue dans ses rangs de petits nouveaux ou de vieux routiers chargés d’apporter du sang frais dans ce grand organisme populaire.




Dans les années 70, le Fleuve n’était pas préteur, et si vous vouliez y faire carrière, il n’était pas question d’être publié ailleurs sous le même nom : l’exclusivité totale était la règle. Aussi, Jean-Pierre Andrevon, édité chez Denoël, Opta et chroniqueur à Charlie, s’inclina-t-il en signant ses premiers ouvrages destinés au Fleuve sous ce pseudonyme. La politique de la maison s’assouplira ultérieurement et Jean-Pierre publiera sous son vrai nom Soupçons sur Hydra et Le premier hybride.

 

Andrevon, affirmons-le, est un précurseur : il a traité d’écologie quand personne n’en parlait avec les hommes machines contre Gandahar, contribuant à tirer la science-fiction française du puits dans lequel elle était tombée depuis la fin du « Rayon Fantastique ». Avec La guerre des Gruulls il signa un ouvrage de space-opéra de facture apparemment classique, mais où transparaissait déjà une certaine modernité grâce au comportement des personnages, en rupture par rapport aux mœurs de l’époque. Jean-Pierre, pour qui je confesse une certaine affection, ayant abandonné son métier de professeur de dessin pour l’écriture, père de famille, devait certainement tirer dans ces années-là le diable par la queue. Le Fleuve ne payait pas trop mal et y figurer régulièrement apportait l’assurance d’un revenu correct. Néanmoins, malgré cette dure réalité économique, notre auteur n’a jamais renâclé à donner un texte à un fanzine, se rappelant ainsi qu’il avait lui-même débuté dans Lunatique, sous la houlette de Jacqueline Osterrath. Jean-Pierre est un chic type.



Ceci posĂ©, l’œuvre qu’il a donnĂ© au Fleuve touche Ă  la fois les collections Anticipation et Angoisse. Prenant ses aises dans ce contexte, Andrevon a revisitĂ© des thèmes ultra classiques, comme celui de Frankenstein (Une lumière entre les arbres), la rencontre avec des aliens (La guerre des gruulls, Soupçons sur Hydra), les morts-vivants (Le reflux de la nuit) ou inspirĂ©s des bons vieux films d’épouvante amĂ©ricains des annĂ©es 60 (Les enfants de pisauride). On sent que l’auteur a pris plaisir Ă  introduire dans ces vieux poncifs une dose d’originalitĂ©. Les choses en effet ne sont pas toujours ce qu’elles devraient ĂŞtre logiquement, et le cauchemar peut cohabiter avec la farce. Dans Une lumière entre les arbres, un chirurgien de gĂ©nie, mais un peu allumĂ©, a installĂ© son laboratoire des horreurs au plus profond d’une forĂŞt du Massif Central.  Bloc chirurgical ultramoderne, complicitĂ©s locales, moyens matĂ©riels Ă  disposition feraient hurler Ă  la mort le moindre bĂ©ta-lecteur au fond de sa mare, et l’on sourirait Ă  cette lecture pour l’oublier aussitĂ´t. Mais Andrevon, qui dans son genre est un retors, sait donner une dimension imprĂ©vue Ă  ses rĂ©cits et dĂ©samorcer ainsi une critique facile. Il joue avec son public comme dans Le reflux de la nuit oĂą les ressuscitĂ©s sont tour Ă  tour visibles ou invisibles par des tiers – sans que l’auteur nous explique pourquoi – et parvient, sans en avoir l’air, Ă  lui faire perdre pied et Ă  distiller doucement une vĂ©ritable atmosphère d’angoisse. Son approche du thème du paradoxe temporel, dans Le dieu de lumière est un condensĂ© de clins d’œil, aussi bien au Stefan Wul de l’Orphelin de Perdide qu’à La citĂ© et les astres de Clarke.



Andrevon livre ainsi ses sources d’inspiration en confessant un lourd penchant pour l’œuvre de Stefan Wul. On rappellera juste à propos un article élogieux publié jadis dans Fiction sous sa signature, dans lequel il rendait au poète de la science-fiction française un hommage appuyé. Je me souviens d’ailleurs, à l’âge tendre où je lus pour la première fois La guerre des Gruulls , avoir ressenti à travers cette peinture d’un univers futur et dans l’intrigue de ce roman une certaine similitude avec les mondes évoqués dans les livres cultes de Wul, et tout particulièrement en l’occurrence, Piège sur Zarkass. Avec « Soupçons sur Hydra », cette reconnaissance ne s’embarrassera pas d’équivoques. Andrevon met là en scène un bestiaire digne de son maître, et la créature engendrée par les expériences biologiques de la station flottante d’Hydra est une sœur assumée de celle de La mort vivante. Il est intéressant de rapprocher Soupçons sur Hydra et sa suite des premiers ouvrages signés Brutsche. Treize ans séparent ces titres, et entretemps bien des bouleversements ont secoué le petit monde de la SF française. Andrevon a été un des acteurs majeurs de cette renaissance, et son écriture, dans Soupçons sur Hydra n’a plus grand-chose à voir avec celle de ses romans précédents. Le langage est souvent cru, mais le contexte lui permet d’échapper au vulgaire, et les personnages que l’on pourrait, de prime abord, imaginer animés par un immense appétit sexuel, ont en fait une telle épaisseur qu’il est aisé de se glisser dans leur peau et là encore, de partager leur humanité.

Andrevon n’a donc pas livré d’œuvres mineures au Fleuve, loin de là. Il a démontré au contraire la pertinence du dicton qui dit que c’est dans les vieux pots que l’on fait les meilleures confitures.

Alvin (Didier Reboussin)

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