Disparu récemment, Louis Thirion fut un des auteurs les plus talentueux révélés par le Fleuve Noir conjointement à Pierre Barbet et J & D Le May. Sa première apparition dans notre collection mythique, « Les Stols », l’avait d’emblée distingué du flot habituel qui s’y écoulait, non que l’ouvrage fût écrit de façon particulièrement brillante, mais parce qu’une imagination fertile s’y révélait. Enfin, sortie en 1968, cette histoire ne se concluait pas à l’avantage de l’une ou l’autre des parties. En effet, Hommes et Stols trouvaient le chemin de l’union, et écartaient l’idée d’une suprématie de l’un sur l’autre, schéma assez révolutionnaire pour une époque où l’affrontement des deux blocs est-ouest imposait aux esprits qu’il y eût un vainqueur et un vaincu.
Louis Thirion avait livré ses premiers écrits peu de temps auparavant à travers quelques textes, dont un roman aux éditions Lotsfeld , « La Résidence de Psycartown », dont je ne puis parler, ne l’ayant jamais lu. Les critiques diverses que j’ai pu consulter le qualifient de surréaliste, aussi aurons-nous la faiblesse de les croire. On trouve en effet dans « Les Stols » des exemples de cette tendance, je pense en particulier à ce jeu qui consiste à introduire une grosse boule dans une autre plus petite. Poussé dans le Fleuve par Alain Page, Louis Thirion mettra en scène, six romans durant, un personnage assez atypique : le commodore Jord Maogan. Avec lui nous avons affaire à un héros difficile à cerner, au caractère éloigné de celui du modèle conventionnel style « space-opéra ». Le sang-froid marié à la prudence semblent être ses qualités dominantes, comme « Les naufragés de l’Alkinoos » le démontre. Sa capacité de survie est elle plus classique et rejoint dans le stéréotype celle des Perry Rhodan et autres personnages inoxydables dont le Fleuve regorge. Ce n’est pas à ce niveau – Jord Maogan est certes un héros sympathique — qu’il faut attendre Louis Thirion. En effet, ses personnages, sans être des ectoplasmes, ne sont pas particulièrement fouillés. L’auteur semble se préoccuper davantage du groupe, de l’espèce, et ses textes sont d’abord des pépinières d’idées. On devine qu’il faudrait peu de chose pour qu’une alchimie transmute certains de ses romans honorables en chef d’œuvres. C’est ce sentiment de passer très près de la réussite qui engendre l’intérêt, et on peut considérer qu’avec « Ysée-A » et surtout « Sterga la Noire », l’excellence est à portée de plume. Louis Thirion est aussi un peintre talentueux dans l’évocation de paysages étrangers. On retiendra longtemps les images de la planète Alonite II succombant à l’explosion d’une nova dans « Les naufragés de l’Alkinoos » ou d’Infinite dans « Sterga la Noire ». J’ai écrit plus haut que ses personnages n’étaient pas révolutionnaires… Il me faut tout de même sortir de l’ombre le héros véritable de « Sterga la Noire », Stephen, travaillé par des forces contradictoires, évoluant sans arrêt sur le fil du rasoir, à la fois fragile et fort. D’ailleurs ce roman, particulièrement ambitieux et qui n’a pas pris une ride est à l’étroit dans le format imposé par le Fleuve. On rêve à ce qu’aurait pu donner une telle œuvre libérée de ce carcan.
Il y a Ă©galement un autre aspect des Ă©crits de Louis Thirion qui retient l’attention : une prĂ©occupation Ă©cologique avant-gardiste qui s’exprime plutĂ´t brillamment dans « Metrocean 2031 ». Il faut situer l’ouvrage, publiĂ© en 1973, avant le premier choc pĂ©trolier et donc encore en pleine euphorie des « trente glorieuses ». Par ailleurs, Ă©ditĂ© dans une collection dĂ©diĂ©e Ă l’évasion pure, oĂą les prises de position politiques sont, sinon proscrites, tout au moins rares – en dehors de celles de Peter Randa dĂ©jĂ Ă©voquĂ©es dans une autre chronique – cela ne laisse pas de surprendre un peu. Je ne vois que Francis Carsac avec « La Vermine du Lion », dans cette collection, pour avoir tonnĂ© contre le comportement Ă©goĂŻste de l’humanitĂ© dès 1967 avec une force peu commune, qui emporta tout sur son passage. Sans possĂ©der ce souffle, « Metrocean 2031 » exprime une rĂ©elle indignation dirigĂ©e contre les excès de l’homme. Thirion s’inscrit clairement dans le courant illustrĂ© Ă l’époque par « Tunnel » d’AndrĂ© Ruellan ou certaines Ĺ“uvres post apocalyptiques comme « l’Autoroute sauvage » de Julia Verlanger. Cette dĂ©nonciation du comportement de nos sociĂ©tĂ©s Ă©tait dĂ©jĂ très prĂ©sente dans « Sterga la Noire », oĂą la description de planètes mises en coupes rĂ©glĂ©es par une « major » commerciale hyper libĂ©rale et dĂ©complexĂ©e au point d’inscrire le gĂ©nocide comme mĂ©thode d’accaparation des ressources, n’était pas sans rappeler Ă nouveau « La Vermine du Lion ».
Autre trait qui distingue Louis Thirion de ses collègues : l’approche cosmologique. « Ysée-A » en est une belle démonstration où, comme des poupées gigognes, les civilisations s’emboitent les unes dans les autres au fur et à mesure du mouvement d’expansion/contraction de l’univers. Leur ancienneté et leur capacité de survie à ce cycle leur confèrent peu à peu des pouvoirs démesurés qu’elles peuvent exercer pour autant qu’elles n’empiètent pas sur le domaine réservé de celle qui les précède. Ce sont là des thèmes tout à fait ambitieux qui, encore une fois, souffrent du fait des contraintes techniques de la collection.
Louis Thirion donnera environ une vingtaine de textes au Fleuve et mettra en scène par ailleurs « Sigurt le Viking » à travers quelques romans « Jeunesse ». Par la qualité de ses écrits, il a précédé et annoncé en quelque sorte un PJ Hérault ou un J P Garen qui donneront à leur tour des lettres de noblesse au Fleuve Noir. Enfin, en proposant des « spaces opéras » peu conventionnels et fourmillant d’idées, il s’est imposé comme une des grandes références de notre collection préférée.