La ros̩e du soleil РNathalie Henneberg

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La rosée du soleil

Nathalie Henneberg

1ère publication « Le Rayon fantastique », Hachette, 1959

 

 

 

Une île déserte pleine de livres…

Aden, Henri de Monfreid, les fantômes sont nombreux dans les parages. Les pirates aussi que nous avons croisés et qui se sont moqués de nous. Deviendraient-ils difficiles, méprisant ce bon vieux minéralier qui, tel un antique steamer, m’emporte vers l’exil des îles Kerguélen ? Ils ont eu tort de ne pas monter à bord car ils auraient trouvé le coffre au trésor dans lequel j’ai rangé les pépites de ma bibliothèque. Tenez par exemple : La Rosée du Soleil de Nathalie Henneberg.

 

7 – La Rosée du Soleil – Nathalie Henneberg

Première apparition de Nathalie Henneberg au Rayon Fantastique, ce livre n’a pas encore connu de réédition, autant dire qu’il demeure de nos jours quelque peu confidentiel, apprécié par les seuls rarissimes amateurs encore vivants de l’œuvre de cet auteur. Nous allons tenter dans cet article d’évoquer, l’espace d’un instant, cet ouvrage incomparable. Saluons au passage la récente sortie des Dieux Verts et de quelques nouvelles chez Black Coast Press, sous la houlette de Charles Moreau, mais malheureusement en anglais. En dehors de ces quelques courageux qui maintiennent la flamme, aucun éditeur d’importance ne s’aventure aujourd’hui à exhumer l’œuvre de Nathalie Henneberg. J’ai écrit par ailleurs que c’était un scandale, en fait, c’est plus que cela, c’est une honte.

La Rosée du Soleil est une planète sur laquelle s’échoue un astronef terrien à l’issue d’une longue dérive provoquée volontairement par un des membres de son équipage. Quatre astronautes le composent, quatre hommes aux profils psychologiques complexes, souvent opposés, et qui vont connaitre sur cet astre surprenant des destins en rapport avec leurs convictions. Car la Rosée du Soleil est une planète déroutante sur laquelle se livre une guerre sans merci opposant ses peuples, et en particulier la race aquatique aux trois autres. Celle-ci s’emploie à subjuguer ses adversaires, utilisant pour ce faire des talents étranges qui font de la Rosée du Soleil un astre instable, aux décors changeants, agissant avec toute la perversion qu’apporte le mal absolu. L’arrivée des terriens va bouleverser l’ordre des choses et provoquer l’affrontement décisif.
On le voit, l’histoire en elle-même n’est pas en soi importante, ce n’est que le fil conducteur qui va permettre à l’auteur de déployer son art dans l’évocation de ce monde et dans le traitement philosophique de la dualité bien – mal. Nous vivons l’aventure à travers le prisme de la personnalité de chacun des astronautes, et ce sont autant de facettes différentes qui sont taillées, étourdissant le lecteur sous une avalanche somptueuse de couleurs, de mots, d’évocations légendaires. Comme toujours chez Henneberg, le décor l’emporte sur l’histoire, l’idée sur l’intrigue. La richesse du vocabulaire conjuguée à la surprenante capacité à composer un paysage inédit sont les axes forts et singuliers de ce talent à nul autre pareil. Démonstration :

« La quatrième – oh, la quatrième statue, Angell savait sourdement quel élément elle figurait ! Cette forme allongée et frêle était une flamme au vent ! Parmi les longs filaments d’or souple, des tresses ou des rayons, la silhouette d’onyx blanc s’élançait vers la lumière. Mais l’astronaute recula devant le visage de la déesse mystérieuse : une petite figure triangulaire, aux sourcils relevés, aux yeux d’or sableux. Un pied nu foulait l’échine d’un saurien. L’expression des traits était effroyablement barbare et cruelle… »

On sait que les livres de Nathalie Henneberg sont un mariage difficile entre une tendance épique russe naturelle, résultant des lectures de sa jeunesse, et la rationalité occidentale enseignée plus tardivement par son mari Charles. L’équilibre est souvent instable, le souffle l’emportant facilement sur le récit. Nous sommes alors entraînés dans une vertigineuse spirale où tous les sens sont sollicités. La lecture d’un texte de Nathalie Henneberg n’est pas toujours un exercice facile, et l’on peut y perdre pied si l’on résiste aux mirages dressés sur notre route. Mais, si l’on se laisse subjuguer, alors l’enchantement apparaît, la force contenue dans les lignes agit comme au premier jour de la découverte, et l’on mesure pleinement la qualité et la richesse de ce qu’il faut bien appeler un chef d’œuvre, même si ce terme est galvaudé. La puissance d’évocation s’habille sous les traits de la poésie, hissant le livre à un niveau qui  n’est plus celui des petites histoires de space-opéra, mais bel et bien celui, magique, du merveilleux légendaire, tel l’Atlantide de Pierre Benoit.

 

 

Pauvre lecteur d’aujourd’hui, privé du bonheur de lire du Henneberg, sauf à fouiller chez les bouquinistes ou les sites de vente en ligne, comme je te plains.

Didier Reboussin (Alvin)

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2 réponses à La rosée du soleil – Nathalie Henneberg

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